L‘empathie est un concept très présent dans l’espace public mais sa définition est complexe et variée selon les champs disciplinaires (De Waal, 2011 ; Ricard, 2013). L’empathie est souvent définie par la capacité à reconnaître, percevoir et ressentir les émotions d’un autre, tout en adoptant son point de vue (pour une snythèse, voir Berthossat & Gentaz, 2013). Cette capacité nécessite une réaction affective déclenchée par l’état émotionnel de l’autre (i.e., une capacité d’identification et de compréhension des émotions de l’autre), mais également la reconnaissance et une compréhension des états mentaux de cette personne (i.e., une capacité d’inférence cognitive, d’une « théorie de l’esprit ») et une reconnaissance qu’autrui est semblable à soi tout en distinguant soi-même et autrui (i.e., une capacité de conscience de soi et des autres). L’empathie est considérée comme une compétence sociale indispensable et universelle car elle joue un rôle crucial dans la vie sociale et les relations interpersonnelles, et ce dès le plus jeune âge. Par exemple, des recherches en psychologie montrent que plus les personnes sont empathiques, plus elles vont comprendre les comportements socio-émotionnels des autres et donc produire des interactions interpersonnelles appropriées. Des recherches en neurosciences montrent par exemple, lorsque des adultes sont confrontés à la vision de leur propre douleur ou de celle de leur conjoint, les mêmes aires cérébrales sont activées (Singer et al., 2004). 

 

Puisque les capacités pour se différencier d’autrui et celles pour inférer le point de vue mental d’autrui, jouent un rôle important dans l’empathie, son développement est intimement lié aux développements des autres compétences cognitives et affectives de l’enfant (pour des synthèses, cf. Decety & Holvoet, 2021 ; Hoffman, 2020). Par exemple, pour que l’enfant commence à réagir à la détresse d’un autre et à l’aider de manière judicieuse, il doit identifier l’émotion exprimée par l’autre, comprendre sa cause et ses effets, inférer son état mental et ses besoins, tout en les différenciant des siens. Ce sont à ces conditions cognitives que l’enfant va pouvoir aider autrui de manière adaptée et selon ses besoins, et non selon ce qui l’aiderait lui. Par exemple, il apportera le doudou ou le jouet préféré de l’autre enfant en détresse (et non pas son propre doudou), ou ira chercher son parent ou son enseignant (et non pas les siens). Après plusieurs années de développement, l’enfant sera capable de ressentir de l’empathie pour des situations ou des personnes qui sortent de son propre environnement immédiat, ou, en d’autres termes, il sera en capacité d’éprouver de la compassion pour la vie d’autrui en général (cf. Hoffman, 2020). 

 

La capacité d’empathie impliquant des processus cognitifs, il est possible de l’entraîner et de l’améliorer en focalisant les interventions sur ces processus.

En contexte scolaire, et ce dès l’école maternelle, il est ainsi possible d’entraîner des compétences émotionnelles directement en proposant des séances pédagogiques (Greenberg, 1995 ; Lafay et al., soumis ; Theurel & Gentaz, 2015). Par ailleurs, il a été montré qu’il est possible d’agir indirectement en favorisant par exemple le jeu de faire semblant (Richard et al., 2023), car il facilite la décentration, favorise le développement des fonctions cognitives (attention, mémorisation, planification, flexibilité mentale) et constitue un contexte privilégié permettant à l’enfant d’expérimenter, dans un cadre sécurisant des émotions complexes ainsi que des situations sociales, sans devoir subir les conséquences du monde réel. De nombreux effets bénéfiques du jeu de faire semblant sur le développement des jeunes enfants sont observés, en particulier sur leur habileté à réguler leurs émotions. Le fait de jouer à faire semblant régulièrement, avec un partenaire de jeu plus expérimenté (un parent par exemple), favorise notamment l’empathie et la conscience émotionnelle de soi dans les interactions quotidiennes. 

 

Enfin, bien entendu, les parents peuvent activement influencer l’émotivité et la régulation émotionnelle de l’enfant (Gentaz, 2023). Ainsi, les parents peuvent apprendre aux enfants comment contrôler leurs propres comportements, dans le but d’augmenter leur conscience par rapport aux conséquences de leurs comportements, et, de ce fait, développer leur sens moral. Une méthode efficace consiste à souligner le point de vue de l’autre, sa détresse, et le comportement de l’enfant ayant causé cette détresse. Cette méthode favorise le développement de la prise en considération et de l’empathie. En outre, apprendre à accepter et à gérer ses propres émotions négatives d’une manière constructive et les exprimer fait partie de l’éducation à l’empathie. 

 

En conclusion, le développement de l’empathie chez les enfants est un levier essentiel, aussi bien pour les professionnels de l’enfance que pour les parents, pour favoriser le vivre ensemble et prévenir les comportements violents en général et de harcelement en particulier.

 

 

Pr édouard Gentaz
Professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève,
Directeur de recherche au CNRS,
Directeur du Centre Jean Piaget

 

 

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REFERENCES

 

Berthossat, J., & Gentaz, É. (2013). Le développement de l’empathie chez l’enfant : le point de vue psychologique. Médecine & Enfance, 10, 356-359.

 

Decety, J., & Holvoet, C. (2021). Le développement de l’empathie chez le jeune enfant. L’Année psychologique, 121, 239-273. https://doi.org/10.3917/anpsy1.213.0239

 

De Waal, F. (2011). L’âge de l’empathie. Actes Sud.

 

Gentaz, É. (2023). Comment les émotions viennent aux enfants ? Paris : Nathan.

 

Greenberg, M.T. (1995). Promoting emotional competence in school-aged children: The effects of the PATHS Curriculum. Developmental Psychopathology, 7, 117-136.

 

Hoffman, M. (2020). Empathie et développement moral. Grenoble : PUG.

 

Lafay, A., Berger, C., Alaria, L., Anagonin, S., Dalla-Liberia, N., Richard, S., Cavadini, T., & Gentaz, É. (submitted). Promoting emotion abilities in 313 preschool and kindergarten children ages from 3 to 6 years: direct effects of an innovative emotion training, but no transfer effects on language comprehension and mathematic abilities.

 

Richard, S., Clerc-Georgy, A., & Gentaz, é. (2023). Pretend play-based training improves some socio-emotional competences in 5-6-year-old children: A large-scale study assessing implementation. Acta psychologica, 238, 103961. Advance online publication. https://doi.org/10.1016/j.actpsy.2023.103961

Ricard, M. (2013). Plaidoyer pour l’altruisme. Paris : éditions Nil.

 

Singer, T., Seymour, B., O’Doherty, J., Kaube, H., Dolan, R. J., & Frith, C. D. (2004). Empathy for pain involves the affective but not sensory components of pain. Science, 303(5661), 1157–1162. https://doi.org/10.1126/science.1093535

 

Theurel, A., & Gentaz, É. (2015). Entraîner les compétences émotionnelles à l’école. A.N.A.E., 139, 545-555.

 

Ressources scientifiques et pédagogiques pour travailler des compétences émotionnelles dans les classes en maternelle (projet EMOTIMat)
https://savoie-educ.web.ac-grenoble.fr/maternelle/emotimat

 

 

Pour citer cet article : Pour citer cet article : Gentaz, É. (2023). Éditorial - Comprendre et favoriser le développement de l’empathie A.N.A.E., 186, 493-495.

 

 

ANAE N° 186 - Apprendre à écrire et ses troubles Évaluer – Remédier

Dossier coordonné par J. Danna, Laboratoire Cognition, Langues,

Langage, Ergonomie (CLLE) UMR 5263,

CNRS et Aix-Marseille Université

et F. Bara, Laboratoire Cognition, Langues,

Langage, Ergonomie (CLLE) UMR 5263

 

www.anae-revue.com