Dépasser les oppositions médiatiques stériles sur les différentes manières d'enseigner :

les apports complémentaires de l'approche pédagogique constructiviste et l'approche pédagogique explicite

 

Editorial - E. Gentaz 

 

ANAE N° 167

 

Septembre 2020

     La rentrée scolaire est une période propice à de nombreux débats alimentés par les diverses publications en librairie et les prises de position d’« experts » dans les médias (Gentaz, 2020). Parmi les débats récurrents, il existe depuis quelques années une « opposition » entre les tenants d’une approche pédagogique constructiviste et ceux d’une approche pédagogique explicite, un débat que nous retrouvons dans des rapports officiels (e.g., Villani, Torossian & Dias, 2018).

 

     Rappelons que la théorie piagétienne constructiviste a eu un fort impact sur la manière de concevoir l’enseignement et la pédagogie (Piaget, 1969). Par exemple, dans l’enseignement des mathématiques d’inspiration constructiviste, on peut proposer aux élèves des types de problèmes dits « ouverts » ou « non applicatifs » (Arsac & Mante, 1983 ; Charnay 1992 ; Rivier & Gentaz, 2020), i.e. des énoncés dont la résolution n’est pas directement accessible par l’application d’un algorithme étudié en classe. Ces problèmes n’induisent pas de méthode ni de solution systématique et doivent se trouver dans un domaine conceptuel avec lequel les élèves sont familiers. Enfin, leur résolution permet aux élèves d’utiliser une variabilité de stratégies et pourrait générer des émotions positives et favoriser le plaisir d’apprendre (Gentaz, 2015).

 

     Les partisans de l’approche « enseignement explicite ou direct » (Castonguay, Bissonnette, Gauthier & Richard, 2013) critiquent cette approche ascendante et proposent quant à eux d’enseigner explicitement des stratégies efficaces, d’encourager l’élève à raisonner à voix haute et à échanger avec les autres en mettant « un haut-parleur sur sa pensée » et à recourir à l’utilisation de nombreuses traces écrites donnant ainsi un support de référence disponible à l’élève. Ce type d’enseignement implique une pédagogie explicite et systématique avec accompagnement de l’élève par l’enseignant au début du processus d’apprentissage, identifiant clairement les étapes d’une session d’enseignement. L’objectif des différentes étapes est d’optimiser le fonctionnement des différentes mémoires en minimisant la charge de mémoire de travail de l’élève durant la phase d’apprentissage d’un nouveau concept et en lui offrant une formation approfondie et des révisions régulières pour favoriser sa mémorisation à long terme (Krischner, Sweller & Clark, 2006).

 

     Il est bien évident que chacune des approches (constructiviste ou enseignement explicite) présente des avantages et des limites selon le contexte d’apprentissage ou les savoirs à enseigner, surtout si une approche est utilisée de manière exclusive par un enseignant, ce qui n’est jamais le cas. Actuellement, il ne nous paraît pas pertinent de les opposer comme on peut le lire chez certains chercheurs aussi bien en neurosciences qu’en psychologie sociale, peu familiers de l’acte d’enseigner aux élèves. Au contraire, nous pensons que ces deux approches peuvent se compléter à condition de proposer des enseignements qui intègrent les avantages de chacune. Les premiers résultats vont dans ce sens (e.g., Rivier & Gentaz, 2020).

 

     Ce point de vue intégratif est partagé par d’autres chercheurs. Ainsi, selon Taber (2010) :
« Utiliser la métaphore de l’apprentissage comme alimentation, dichotomiser l’enseignement comme constructiviste ou direct revient à se demander s’il vaut mieux manger des glucides ou des protéines, alors que ce dont on a besoin, c’est d’un régime équilibré... L’enseignement constructiviste peut-il réussir ? Oui, s’il s’agit d’un véritable enseignement constructiviste qui intègre l’enseignement direct lorsque cela est approprié. Je pense que nous avons besoin d’un nouveau terme pour désigner cette approche synthétique et inclusive. Peut-être devrions-nous l’appeler instruction intelligente ? ».

 

     Puisse ce point de vue intégratif nous permettre de dépasser ces oppositions stériles.

 

Pr édouard Gentaz
Professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève et
Directeur de recherche au CNRS

 

Références

Arsac, G., Germain, G. & Mante, M. (1988). Problème ouvert et situation problème. Lyon : IREM, publication n°64.

 

Castonguay, M., Bissonnette, S., Gauthier, C. & Richard, M. (2013). Enseignement explicite et réussite des élèves - La gestion des apprentissages. Bruxelles : De Boeck

 

Charnay, R. (1992). Problème ouvert – problème pour chercher. Grand N, 51, 77-83.

 

Gentaz, é. (Ed) (2015). Apprentissage, cognition et émotion : de la théorie à la pratique. A.N.A.E. : Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant, 27(139), 83 pages.

 

Gentaz, é. (2020). Participer à la diffusion des connaissances scientifiques et au débat public : un enjeu majeur pour tous les chercheurs en sciences cognitives. A.N.A.E. : Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant, 32(164), 9-11.

 

Rivier, C. & Gentaz, é. (2020). Enseigner la résolution de problèmes aux élèves de 6-9 ans via des problèmes « non- applicatifs » : analyse de dispositifs de formation fondés sur une approche contructiviste ou intégrative (constructiviste et enseignement explicite). Revue de Mathématiques pour l’école. https://www.revue-mathematiques.ch/files/8615/9195/3753/RMe-233-Rivier.pdf

 

Kirschner, P., Sweller, J. & Clark, R. (2006). Why minimal guidance during instruction does not work: An analysis of the failure of constructivist, discovery, problem-based, experiential, and inquiry-based teaching. Educational Psychologist, 41(2), 75-86.

 

Piaget, J. (1969). Psychologie et Pédagogie. Paris : Denoël-Gonthier.

 

Taber, K. (2010) Constructivism and direct Instruction as competing instructional paradigms: An essay review of Tobias and Duffy‘s constructivist instruction: Success or failure? Education Review, 13, 1-45.

 

Villani, C., Torossian, C. & Dias, T. (2018). 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques. Paris, France : Ministère de l’Education Nationale.