Participer à la diffusion des connaissances scientifiques et au débat public : un enjeu majeur pour tous les chercheurs en sciences cognitives - Editorial - E. Gentaz -

 

ANAE N° 164

 

mars 2020

Il est paradoxal d’entendre l’avis de quelques experts seulement dans les médias sur de nombreux sujets traités dans l’espace public (les effets des écrans, des châtiments corporels sur le développement psychologique, les troubles neurodéveloppementaux, comment enseigner ou apprendre à lire, etc.) alors qu’il existe en France plus de 1 200 chercheurs (maîtres de conférences, professeurs des universités, chercheurs CNRS ou INSERM) qui exercent sur l’ensemble du territoire dans le domaine de la psychologie au sens large. Si on définit un expert scientifique dans le domaine de la psychologie et la neurocognition comme une personne qui a publié des connaissances sur une question dans des journaux ou revues à comité de lecture (un ouvrage généraliste grand public ne me paraît pas suffisant compte tenu que ce dernier n’est pas expertiser par des pairs), il paraît évident qu’il n’est pas possible d’être un véritable expert scientifique dans tous les domaines. Comment expliquer alors que ce soient souvent les mêmes qui donnent leurs avis sur la plupart des questions ? Trois raisons majeures au moins contribuent à ce phénomène.

 

La première est que les journalistes, pour une question donnée, ne parviennent pas ou ne prennent pas le temps d’identifier les véritables experts ayant produit des connaissances dans le premier type de sources d’information, c’est-à-dire celles issues de revues ou journaux à comité de lecture.

 

Dans mon éditorial du numéro 158 d’A.N.A.E., j’avais distingué schématiquement quatre types de sources d’informations : type 1, revue scientifique à comité de lecture ; type 2, revue scientifique pour professionnels ; type 3, magazine ou journal grand public et type 4, ouvrages individuels ou collectifs (Gentaz, 2019). Il est à noter que cette catégorisation hiérarchique dépend de l’époque et des champs disciplinaires : elle est pertinente aujourd’hui pour les recherches en psychologie et neurocognition; elle l’est moins pour les publications en sciences sociales. J’avais conclu que compte tenu de la diversité et des caractéristiques de ces différents types de sources d’information, les connaissances diffusées ne devaient pas être traitées de façon identique par les professionnels. Dans les débats actuels, chaque professionnel se devait d’identifier et de différencier les sources pour être en mesure de sélectionner les connaissances scientifiques les plus fiables dont il a besoin pour accompagner sa pratique. Cette conclusion devrait aussi s’appliquer à un journaliste lorsqu’il décide d’interroger un véritable expert du domaine traité.

 

La deuxième raison est que la plupart des chercheurs ne considèrent pas que la diffusion des connaissances et la participation au débat public feraient partie intégrante de leurs fonctions, qui se limiteraient alors principalement à celles de chercher, d’enseigner et de participer aux tâches administratives collectives. De ce fait, comme cette majorité de chercheurs n’utilise pas par exemple les services de communication de leurs institutions lorsqu’un nouvel article est publié ou ne souhaite pas répondre pas aux sollicitations des journalistes, elle laisse la place vacante, bien vite occupée par les intervenants habituels, souvent moins experts qu’elle. Il faut qu’elle se persuade qu’elle a toute légitimité à donner son avis aussi. Pour l’aider, il serait souhaitable que cette fonction soit davantage valorisée dans les différentes instances d’évaluation des chercheurs.

 

La troisième raison est probablement géographique et historique : la plupart des médias siégeant à Paris, il est de fait plus coûteux en temps et en argent (les frais de déplacement restant à la charge de l’intervenant) d’interroger des chercheurs travaillant dans des villes de province, pour la majorité d’entre eux. Ce motif devrait pourtant perdre de son impact à moyen terme grâce aux nouveaux moyens de communication (interview en duplex, visioconférence…).

 

En conclusion, il est crucial que beaucoup plus de chercheurs décident de participer activement aux différents débats publics dans leurs domaines de compétences afin de favoriser une plus grande visibilité de points de vue scientifiquement fondés.

 

Pr édouard Gentaz
Professeur de psychologie du développement

à l’Université de Genève

et Directeur de recherche au CNRS

 

Références

 

Gentaz, é. (2017). Connaissances scientifiques : apprendre à identifier et différencier les sources d’information. A.N.A.E., 158, 7-9. https://www.anae-revue.com/anae-en-accès-libre/l-éditorial-d-anae-en-accès-libre/ 

BON DE COMMANDE 164 2 -2.pdf
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