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Quels sont les effets du port du masque sur la reconnaissance des visages et des émotions chez les enfants et les adultes ?

Quels sont les effets du port du masque sur la reconnaissance des visages et des émotions chez les enfants et les adultes ?

 

Apports des recherches

 

T. Cavadini1, M. Fort2,3,4, o. Pascalis2, É. Gentaz1

 

 
   

 

 

 ©Shutterstock 1630067737   

 

1.  Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève, Genève, Suisse.

2.  Laboratoire de Psychologie et Neuro- Cognition (LPNC), Université Grenoble Alpes, Grenoble, France.

   3.  Centre de Recherche en NeuroSciences de Lyon, UMR 5292, Université Lyon 1, Lyon, France.

   4.  INSPE de l’Académie de Lyon, Université Lyon 1, Lyon, France. Auteur correspondant :

Prof. Édouard Gentaz,

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève,

40 bd du Pont-d’Arve, 1211 Genève 4, Suisse.

Email: Edouard.Gentaz@unige.ch

Conflits d’intérêts : les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.

 

Pour citer cet article : Cavadini, T., Fort, M., Pascalis, O., & Gentaz, É. (2022). Quels sont les

effets du port du masque sur la reconnaissance des visages et des émotions chez les enfants et

les adultes ? Apports des recherches. A.N.A.E., 176, 113-125.

 

La pandémie de COVID-19 a conduit de nombreux gouvernements à rendre obligatoire le fait de porter un masque en public afin de limiter la propagation du coronavirus à travers le monde entier. La mise en application généralisée d’une telle mesure sanitaire a fait émerger de nombreuses inquiétudes et interrogations au sein de la population. Que relèvent les recherches sur cette question ? Les recherches récentes, difficiles à conduire compte tenu du contexte sanitaire sont donc peu nombreuses mais elles révèlent deux résultats majeurs. Le premier est que les capacités de reconnaissance des visages sont significativement altérées chez les adultes et les enfants pour les visages masqués par rapport aux visages non masqués, mais avec un effet plus important chez les enfants. Le second résultat montre que la reconnaissance des expressions faciales est possible mais altérée par le port du masque, et ce d’autant plus que les enfants sont jeunes

 

 

Une question pas si nouvelle

 

La pandémie de COVID-19 a conduit de nombreux gouvernements à rendre obligatoire le fait de porter un masque en public afin de limiter la propagation du coronavirus à travers le monde entier. La mise en application généralisée d’une telle mesure sanitaire à fait émerger de nombreuses inquiétudes et interrogations au sein de la population. Que relèvent les recherches sur cette question ?

 

Certaines questions relatives aux effets potentiels du port du masque sur la perception des visages et des expressions faciales avaient déjà fait l’objet d’études avant la pandémie de COVID-19. En effet, interagir avec des personnes dont la partie inférieure du visage est couverte par un masque chirurgical est une situation commune dans le milieu médical.

 

Cherchant à déterminer dans quelle mesure le masque influence les interactions patient-
médecin Wong et al. (2013) ont conduit une étude randomisée de grande envergure pour laquelle neuf médecins généralistes volontaires issus de deux centres de premiers soins hongkongais ont reçu, au total, 516 patients en consultation sans porter de masque et 514 patients en consultation où ils portaient un masque chirurgical. Au terme de chaque consultation, les patients complétaient différents questionnaires évaluant :

 

1. L’empathie des médecins envers les patients pendant la consultation (en complétant la mesure de consultation et d’empathie relationnelle – CARE ; Mercer et al., 2005),

2. La capacité du patient à comprendre et à faire face à la maladie et à la vie après une consultation avec un médecin généraliste (à l’aide du « Patient Enablement Instrument – PEI » ; Howie et al., 1999),

3. La satisfaction globale du patient à l’égard de l’interaction médecin-patient sur une échelle de likert en 7 points (1 : exécrable ; 7 : excellente). Les résultats montrent que le port de masques faciaux par les médecins avait peu d’effet sur la mise en confiance et la satisfaction des patients mais avait, en revanche, un effet significatif et négatif sur la perception qu’ont les patients de l’empathie des médecins. Lorsque les patients avaient été reçus en consultation par un médecin ne portant pas de masque, celui-ci leur semblait plus empathique par rapport aux consultations où les médecins étaient masqués.

 

Au-delà du contexte médical, le fait de porter un masque pour ne pas risquer de contaminer autrui, notamment dans les lieux fortement fréquentés, était une pratique largement répandue au Japon bien avant le début de la pandémie de COVID-19.

 

Ainsi, Miyazaki et Kawahara (2016) ont testé si l’évaluation de « l’attractivité » de visages était influencée par la présence d’un masque facial. Pour ce faire, ils ont utilisé une série de 66 photographies de visages féminins et masculins qu’un panel de 31 évaluateurs avaient préalablement catégorisé comme étant peu, moyennement ou fortement attractifs. Ces photographies ont alors été présentées à 125 participants âgés en moyenne de 19.32 ans (ET = 1.14) dans leur format original (i.e., sans masque) et avec un masque ajouté numériquement. Leur tâche consistait dans un premier temps à évaluer l’attractivité de chaque visage à l’aide d’une échelle allant de 0 (très peu attractif) à 100 (très attractif) puis à estimer l’état de santé de chaque modèle (1 : en très mauvaise santé ; 7 : en très bonne santé). Les résultats montrent que les visages attractifs étaient perçus comme moins attractifs lorsqu’ils portaient un masque tandis qu’à l’inverse, l’évaluation de l’attractivité des visages peu attractifs avait tendance à augmenter lorsque ceux-ci étaient masqués. Enfin, tous les visages étaient significativement perçus comme étant en moins bonne santé en présence d’un masque facial. 

 

Objectifs des études récentes

 

Ces travaux antérieurs à la pandémie actuelle indiquent déjà que la présence d’un masque facial sur un visage peut influencer la manière dont il est perçu, constituant ainsi un biais perceptif potentiel. À la lumière de ces quelques résultats, les travaux conduits depuis le début de la crise sanitaire semble donc d’autant plus justifiée. Parmi les différents domaines investigués pour apporter des réponses aux très nombreuses questions suscitées par la situation actuelle, nous nous sommes particulièrement intéressés aux études récentes qui examinent les effets du port du masque sur

1.La reconnaissance des visages,

2.La reconnaissance des expressions faciales chez des populations typiques adultes et plus jeunes.

 

 

Il est important de noter qu’à l’heure actuelle seul un nombre limité d’études sont disponibles compte tenu du fait que la publication de recherches par des revues scientifiques évaluées par les pairs est un processus qui prend du temps, et les travaux menés auprès d’enfants sont encore peu nombreux. Différentes difficultés méthodologiques expliquent cela. De manière générale, recruter un échantillon composé d’enfants et non d’adultes (souvent des étudiants en psychologie) est plus chronophage et contraignant (recrutement, disponibilité, ...). Enfin, la plupart des travaux présentés ci-dessous sont des études en ligne, réalisées par les participants à leur domicile durant des périodes de confinement. Dans un tel contexte il est d’autant plus difficile de recruter des des jeunes enfants.

 

La reconnaissance des visages

 

Les visages « non masqués »

 Les visages occupent une place prépondérante dans notre vie et sont essentiels pour notre communication sociale. En plus de l’identité des individus, les visages nous apportent des informations relativement stables sur nos partenaires sociaux nous permettant de catégoriser une personne, même inconnue, selon différentes dimensions utiles dans les interactions sociales (comme le sexe, l’âge ou l’origine ethnique). Son rôle dans la communication non verbale n’est plus à démontrer, notamment pour ce qui est de la communication de l’état émotionnel ou attentionnel. Nos interactions langagières prenant généralement place face à face, le visage constitue même un complément de la communication verbale puisqu’il permet une lecture labiale qui va faciliter la compréhension auditive de la parole (Piquard-Kipffer, Cavadini, Sprenger-Charolles & Gentaz, 2021).

 

L’ensemble de ces fonctions fait du visage l’un des stimuli les plus utiles et les plus fondamentaux de notre environnement social. Une autre particularité du visage est qu’il est parmi les catégories visuelles les plus homogènes : les variations structurelles entre exemplaires sont relativement limitées puisque tout visage est composé des mêmes éléments (nez, bouche, yeux…) organisés les uns par rapport aux autres de manière similaire (i.e., deux yeux au-dessus d’un nez et d’une bouche), il s’agit de la configuration « de premier ordre » (Rhodes, 1988 ; Sergent, 1984). Au niveau basique, le traitement configural des visages dit « de premier ordre » (Diamond & Carey, 1986) permet de les distinguer des stimuli ne partageant pas la même configuration en les catégorisant en tant que visage et ainsi de les détecter extrêmement rapidement – de l’ordre de 200 ms – au milieu d’une scène visuelle. Cette aptitude très spécifique à pouvoir identifier très rapidement un visage dans son environnement est également extrêmement précoce : Goren, Sarty et Wu (1975) observent que les nouveau-nés préfèrent regarder des structures qui ressemblent à des visages plutôt que des structures qui n’y ressemblent pas et concluent que dès 9 minutes après la naissance, les nouveau-nés sont sensibles à la « configuration globale » de visages schématiques.

 

 

Un second type de traitement configural consiste à analyser les relations entre les principaux éléments constitutifs du visage telles que l’espacement des yeux ou la distance entre la bouche et le nez, il s’agit des relations configurales de second ordre (Maurer, Le Grand & Mondloch, 2002). En intégrant les traits et leurs relations comme un tout indissociable formant le visage, cette opération, également appelée « traitement holistique », permet d’accéder à l’identité d’un visage, les relations configurales de second ordre n’étant évidemment pas constantes entre les différents visages. Toutefois, reconnaître un visage peut également se faire sur la base d’un trait spécifique de la personne (ses yeux par exemple). L’analyse des traits des visages donne lieu à ce que l’on nomme « traitement des éléments » ou « traitement analytique » (en anglais, généralement désigné sous le terme « featural »).

 

Les visages « masqués »

Dans le contexte actuel, les masques faciaux dissimulent la partie inférieure du visage, y compris la bouche et le nez qui constituent des informations essentielles pour le traitement du visage dans son ensemble. Par conséquent, on peut s’attendre à ce qu’au moins certains aspects du traitement holistique soient perturbés par un masque couvrant une partie du visage.

 

Une première étude à s’être intéressée à cette question est celle des chercheurs Carragher et Hancock (2020) qui ont cherché à savoir si les masques chirurgicaux affectaient notre capacité à reconnaître des visages non-familiers. Pour ce faire, ils ont utilisé une tâche de comparaison perceptive des visages (Glasgow face matching test ; Burton, White & McNeill, 2010) qui consistait à présenter 40 paires de visage aux participants. Pour chacune d’elle ces derniers devaient simplement indiquer si les deux visages appartenaient à la même personne (cf. condition « Match », figure 1) ou à deux personnes différentes (cf. condition « Mismatch », figure 1). Afin de tester l’effet de la présence d’un masque (ajouté numériquement aux stimuli originaux), les auteurs ont réparti aléatoirement leurs 138 participants de 21 à 45 ans entre les trois conditions de masque différentes qu’ils avaient créées : contrôle (aucun masque ; n = 53), mixte (un visage portant un masque ; n = 43) et masquée (les deux visages portant un masque ; n = 42). Les performances des participants dans les conditions mixte et masquée étaient significativement plus faibles que celles des participants dans la condition contrôle. Ces premiers résultats semblent donc indiquer que nos capacités de reconnaissance dans une tâche de comparaison de visages de ce type soit altérée pour les visages portant des masques chirurgicaux, que l’un ou les deux visages soient masqués ou non.

Figure 1. Exemples de stimuli utilisés par Carragher et Hancock (2020) pour les conditions de contrôle, mixte et masquée des essais de correspondance (« Match ») et de non- correspondance (« Mismatch ») du GFMT.

 

Cette diminution de la reconnaissance des visages masqués est également retrouvée par Freud et al. (2020). Dans leur étude, cette équipe a utilisé le Cambridge Face Memory Test (CFMT ; Duchaine & Nakayama, 2006) pour étudier la reconnaissance de visages familiers (non-masqués et masqués) de manière quantitative mais également qualitative en s’intéressant aux conséquences de la présence d’un masque facial sur le traitement visuel holistique des visages.

 

 

Le CFMT se décompose en deux parties : une première phase d’apprentissage (familiarisation) où la tâche consiste simplement à mémoriser six visages sous 3 angles différents (de trois-quarts droit, de trois-quarts gauche et de face) suivie d’une phase de test (reconnaissance) subdivisée en deux sous-parties où il faut retrouver un par un chacun de ces visages (désormais considérés comme familiers) parmi une sélection de 3 visages (i.e., la cible et deux distracteurs). Dans la deuxième sous-partie de la phase test les trois visages présentés sont grisés. 

 

Afin d’explorer dans quelle mesure la présence de masques occultant la partie inférieure des visages entraînait une réduction des capacités de reconnaissance des visages et par conséquent une perturbation de l’efficience du traitement visuel holistique, les différents visages étaient présentés à l’endroit et à l’envers (effet d’inversion). La présentation inversée de visages « la tête en bas » est supposée altérer, voire empêcher, le traitement de l’information configurale, ce qui se traduit par une réduction de la mémorisation et la reconnaissance des visages, cet effet étant bien plus marqué pour les visages que pour d’autres classes de stimuli possédant également une orientation canonique (Yin, 1969). L’équipe de chercheurs a alors recruté 293 participants de 18 à 57 ans (M = 25.5, ET =7.4) répartis en deux groupes randomisés, l’un effectuant le CFMT dans son format original (visages non-masqués), tandis que l’autre réalisait une version adaptée de ce test dans laquelle un masque numérique avait été ajouté à tous les visages présentés (i.e., en phases 1 et 2). Les résultats montrent une altération robuste des capacités de reconnaissance des visages lorsque des masques sont ajoutés aux visages. Lorsque les visages étaient présentés à l’endroit, les performances diminuaient d’environ 15 % entre la condition originale (visages non-maqués) et la condition où les visages étaient masqués. La présentation inversée des visages provoquait l’effet d’inversion attendu sur la reconnaissance des visages masqués et non masqués, mais cet effet était significativement plus important pour les visages masqués. Cependant les performances de reconnaissance dans cette condition (visages masqués inversés) demeuraient largement supérieures au niveau de chance et par conséquent ne reflètent pas un effet plancher.

 

Afin de déterminer si la réduction de la performance de reconnaissance des visages masqués observée pouvait être attribuée à la phase d’apprentissage, à la phase de test, ou aux deux, les auteurs ont répliqué la tâche avec 203 nouveaux participants âgés de 18 à 70 ans (M = 27.0, ET = 9.49) qui, cette fois-ci, réalisaient le test soit dans la condition « Mask-at-study » où seuls les visages de la phase d’apprentissage étaient masqués (n = 101), soit dans la condition « Mask-at-test » où les visages étaient masqués uniquement dans la phase test (n = 102). Les résultats obtenus suite à ces manipulations étaient identiques à ceux de la première expérience de Freud et al. (2020), permettant aux auteurs de conclure à la présence d’un changement qualitatif dans la façon dont les visages masqués sont traités chez les adultes, avec un traitement holistique réduit des visages masqués au profit d’un traitement plus analytique, basé sur les détails.

 

Les auteurs ont poursuivi leur recherche en cherchant à savoir si les capacités de reconnaissance des visages étaient davantage impactées par la présence d’un masque chez les enfants d’âge scolaire chez qui la perception des visages n’est pas complètement développée (Carey & Diamond, 1994). Dans une nouvelle expérience, dont les résultats ne sont pas encore publiés, Stajduhar, Ganel, Avidan, Rosenbaum et Freud (in press) ont testé 72 enfants âgés de 6 à 14 ans (M = 10.7, ET = 2.3) à l’aide du CFMT-K, une version du CFMT spécifiquement destinée aux enfants (Cambridge Face Memory Test – Kids ; Dalrymple, Gomez & Duchaine, 2012). Les participants étaient à nouveau répartis aléatoirement entre la condition « sans masque » (n = 35) et condition « avec masque » (n = 37) et comme précédemment, les visages étaient présentés selon deux orientations : droite (visages à l’endroit) et inversée (visages avec la tête en bas).

 

 

Dans leur manuscrit soumis, les auteurs rapportent des résultats similaires à ceux qu’ils observaient avec les adultes testés dans le cadre de leur précédente étude : les capacités de reconnaissance des visages étaient significativement altérées pour les visages masqués par rapport aux visages non masqués et l’effet d’inversion, retrouvé pour les visages masqués et non masqués, était à nouveau significativement plus important chez les enfants dans la condition « avec masque ». De plus, il est important de souligner que les auteurs observent de plus grandes tailles d’effet chez les enfants que chez les adultes, ce qui semble indiquer que la présence d’un masque facial entraîne des difficultés plus prononcées chez les enfants que chez les adultes (Stajduhar et al., in press).

 

Les données sur l’utilisation des traits internes ou externes du visage par les nourrissons sont limitées (Bartrip, Morton & De Schonen, 2001 ; Pascalis, de Schonen, Morton, Deruelle & Fabre-Grenet, 1995 ; Turati, Cassia, Simion & Leo, 2006). Pascalis et al. (1995) ont montré que les nouveau-nés préfèrent regarder le visage de leur mère uniquement si tous les traits sont présents. Le masquage des traits externes supprime cette préférence. Bartrip et al. (2001) ont étendu ce résultat en étudiant les effets de la présence ou de l’absence des traits internes et/ou externes du visage de la mère dans une population d’enfants âgés de 19 à 155 jours. De 19 à 25 jours, une préférence n’est observée que si le visage entier est présenté. Une préférence basée sur les seuls traits internes est observée vers 35 jours. La présentation des traits externes seuls ne produit de préférence pour la mère que vers l’âge de 4 mois. Il semble donc établi que durant la première semaine de vie, la représentation du visage de la mère ne puisse être reconnue que si tous les traits du visage sont présentés.

 

Turati et al. (2006) ont étudié l’importance des traits internes et externes de visages non familiers chez le nouveau-né. Les enfants ont été familiarisés soit avec un visage entier, soit avec la partie interne, soit juste avec la partie externe. Les tests de reconnaissance ont été faits en appariant la photo de la familiarisation avec une photo d’un nouveau visage. Les résultats montrent que les nouveau-nés peuvent reconnaître le visage familier dans toutes les conditions. Ces auteurs se sont ensuite intéressés à la reconnaissance de parties internes d’un visage lorsqu’un visage entier avait été appris ou la reconnaissance d’un visage entier quand seule la partie interne a été apprise. Leurs résultats montrent qu’il n’y a pas de reconnaissance si des changements importants se produisent entre la familiarisation et le test de reconnaissance. L’importance de ce résultat est que les nouveau-nés sont capables d’apprendre et reconnaître des traits internes ou externes seuls mais que la reconnaissance des stimuli appris avec toutes les informations est difficilement réalisable lorsque l’on enlève un élément.

 

Gava et al. (2008) ont utilisé la préférence spontanée des nouveau-nés pour les visages à l’endroit pour étudier l’importance des yeux et de la bouche (figure 2). les chercheures ont montré que cette préférence est présente si la bouche est absente mais pas si les yeux sont masqués

Figure 2. Exemples de stimuli utilisés par Gava, Valenza, Turati et Schonen (2008) afin d’étudier la préférence spontanée des nouveau-nés pour les visages à l’endroit pour étudier l’importance des yeux et de la bouche.

 

Ces études suggèrent que l’absence de bouche due au port du masque n’empêchera pas les mécanismes de base du traitement des visages de se mettre en place chez le jeune enfant ; néanmoins, cela pourrait perturber la reconnaissance d’une personne, mais au même titre qu’un chapeau, ou des lunettes de soleil. Il est important de noter que ces études sont faites avec des images statiques et que dans la vie quotidienne, les personnes peuvent être reconnues aussi sur la base du reste de leur corps, de leur voix, de leur odeur. En effet, plusieurs études ont montré que le fétus et le nouveau-né sont capables de reconnaître la voix de leur mère par rapport à celle d’une inconnue (Decasper & Fifer, 1980 ; Voegtline, Costigan, Pater & DiPietro, 2013). Ils sont capables d’associer la voix de leur mère à son visage au moins dès l’âge de 4 mois (voir Orena & Werker, 2020, pour une revue récente). D’autres recherches ont montré de manière similaire que les nourrissons sont tout à fait capables, dès l’âge de 4 mois, de reconnaître leur mère sur la base de son odeur, et de l’associer à son visage (Durand, Schaal, Goubet, Lewkowicz & Baudouin, 2020). Il est donc possible que les nourrissons utilisent des stratégies compensatoires (voix, reste du corps, odeur) pour contourner le manque d’information créé par le masque porté sur la bouche. 

 

La reconnaissance des expressions faciales émotionnelles

 

Les visages non masqués

 

L’expression faciale est l’un des moyens non verbaux les plus couramment utilisés par les humains pour transmettre les états émotionnels internes et, par conséquent, joue un rôle fondamental dans les interactions interpersonnelles (Bayet, Pascalis & Gentaz, 2014 ; Isaacowitz et al., 2007).

 

Le visage, en tant que figure anatomique, peut être séparé en trois parties : supérieure, moyenne et inférieure, chacune jouant un rôle important dans l’expression des sentiments et des humeurs d’un individu. Par exemple, des actions comme le sourire et la grimace impliquent des structures faciales inférieures, comme la bouche, les lèvres et les joues, et celles-ci sont souvent incluses dans nos conversations quotidiennes. Les expressions faciales des différentes émotions impliquent des changements élémentaires de l’apparence du visage. Chacun de ces mouvements faciaux est décomposé en unités d’action (ou action unit, AU) dans le célèbre système de décodage des expressions faciales FACS (Facial Action Coding System) (Ekman & Friesen, 1978 ; Ekman, Friesen & Hager, 2002). Ce système repose sur la description détaillée de 46 AU dont les combinaisons permettent de décrire environ 10 000 expressions faciales. Chaque AU peut correspondre à la contraction ou à la détente d’un ou plusieurs muscles, qui se traduit par un mouvement d’une partie donnée du visage. Une expression faciale émotionnelle implique donc la mise en jeu de plusieurs unités d’actions. Par exemple, dans le cas d’un visage apeuré, le sujet remonte la partie interne et externe de ses sourcils (AU1 + AU2, actionnées par le frontalis), abaisse et rapproche ses sourcils (AU4, action du muscle pyramidal), laisse une ouverture entre la paupière supérieure et les sourcils (AU5, action du muscle orbiculaire de l’œil), étire ses lèvres vers l’extérieur (AU20, actions du muscle risorius et muscles peauciers du cou) et ouvre la mâchoire (AU26, actions du muscle masséter, du muscle temporal et du muscle orbiculaire de la bouche).

 

Les visages « masqués »

 

Les masques de protection couvrent la partie inférieure du visage et par conséquent ils empêchent de percevoir certains traits du visage nécessaires à l’analyse et à la reconnaissance des expressions faciales émotionnelles. C’est pourquoi plusieurs chercheurs à travers le monde se sont récemment intéressés à déterminer dans quelle mesure la présence d’un masque sur un visage impacte la reconnaissance des émotion manifestées par celui-ci.

 

Parmi les premiers à avoir étudié cette question, le chercheur Claus-Christian Carbon (2020) a notamment testé les capacités de 41 adultes âgés entre 18 et 87 ans (M = 26.7 ans) à reconnaître différentes émotions exprimées par des photographies de visages dans leur format (sans masque) et avec un masque facial ajouté numériquement. Pour ce faire, il a utilisé les visages (photos frontales) de 12 modèles caucasiens (six femmes et six hommes) appartenant à trois groupes d’âge différents (jeune, adulte et âgé) tirés de la « MPI FACES database » (cf. figure 3), une base de données validée d’expressions faciales émotionnelles et conversationnelles naturelles (Kaulard, Cunningham, Bülthoff & Wallraven, 2012). Pour chacun de ces modèles, six images différentes ont été utilisées, illustrant les états émotionnels suivants : colère, dégoût, peur, joie, neutralité et tristesse. Un masque a été ajouté à l’ensemble de ces 72 photos originales à partir d’une photographie d’un masque en tissu beige type « fait maison » qui fut d’abord découpée à l’aide d’un logiciel de retouche puis appliquée individuellement aux différentes versions du visage (cf. figure 2A). Des ombres ont également été ajoutées afin de créer des images réalistes de personnes portant un masque facial. Ainsi un total de 144 images étaient successivement présentées à chaque participant. La tâche consistait à identifier l’émotion exprimée par chaque visage en choisissant parmi six possibilités de réponses sans limite de temps. Pour chaque réponse donnée, les participants indiquaient également à quel point ils étaient certains de l’exactitude de leur choix sur une échelle en 7 points (1 : très incertain, 7 : très confiant). Les résultats montrent une diminution significative de la reconnaissance de toutes les émotions lorsque les visages étaient masqués à l’exception de la peur et de l’expression neutre où des effets de plafond ont été observés avec et sans masque. Les différences de performance les plus importantes entre les deux conditions concernaient la reconnaissance de la joie et du dégoût qui était l’émotion la plus difficilement reconnue en présence d’un masque facial. Cependant, la reconnaissance des émotions masquées restait bien supérieure au hasard, bien que la confiance des participants en leurs réponses fût plus faible dans cette condition (différence significative pour les six émotions). Enfin, des différences dans les réponses ont également été observées, les visages exprimant le dégoût étaient le plus souvent perçus à tort comme étant en colère et les autres émotions comme étant des expressions neutres.

Figure 3. Exemples de photographies des visages d’un modèle (issu du groupe « âgé » d’images) exprimant les six émotions testées par Carbon (2020) dans leur format original sans masque (A) et retouchées portant un masque (B). Le matériel original de la rangée supérieure provient de la base de données MPI FACES (Kaulard et al., 2012).

 

En passant en revue les quelques travaux de ce type menés avec des populations adultes depuis le début de la pandémie, Pavlova et Sokolov (2021) ont relevé les différentes erreurs de reconnaissance les plus courantes en présence de masques faciaux. Par exemple, Spitzer (2020) observe non seulement que les émotions positives deviennent, de manière générale, moins reconnaissables mais également une surévaluation récurrente de la valence des émotions négatives. D’autres relèvent une tendance à confondre la joie avec des expressions neutres (type « poker face ») et à percevoir celles-ci, à tort, comme des expressions tristes (Marini et al., 2021). Enfin, il apparaît que les « faux » sourires (ou sourires « sociaux »), typiquement définis par le mouvement de la bouche uniquement (Ekman, Davidson & Friesen, 1990) ne sont plus identifiés lorsque les visages sont masqués (perçus comme des visages non-souriants/neutres). De plus, la valence émotionnelle des « vrais » sourires de Duchenne (sourires authentiques involontaires impliquant l’étirement des lèvres et la contraction des joues et du muscle orbiculaire formant de petites rides autour des yeux) est sous-évaluée : masqués, ces visages sont jugés significativement moins heureux et davantage perçus à tort comme des expressions neutres (Biermann et al., 2021 ; Sheldon, Goffredi & Corcoran, 2021 ; Spitzer, 2020).

 

Ensemble, ces différents travaux, menés chez des populations adultes de différents pays
occidentaux, indiquent que le port d’un masque entrave la reconnaissance de l’affect facial, bien qu’il permette de déduire de manière fiable les expressions émotionnelles de base. Toutefois, ils révèlent également qu’en dissimulant une partie des mouvements faciaux impliqués dans l’expression de certaines émotions, les masques entraînent un rétrécissement du spectre émotionnel perçu. Comme l’expliquent Pavlova et Sokolov (2021), la diminution de la précision de la reconnaissance et de l’intensité perçue des signaux faciaux ainsi que les erreurs d’identification (confusion d’une émotion avec une autre) peuvent conduire à un rétrécissement du spectre émotionnel de l’interaction sociale. Ce qui permet d’expliquer pourquoi plusieurs études ont montré qu’en présence d’un masque facial, les expressions à valence positive et négative étaient souvent perçues à tort comme neutres. Néanmoins, Pavlova et Sokolov (2021) soulignent le fait que dans le monde réel, nous sommes confrontés à des visages dynamiques et avons accès à des signaux sociaux supplémentaires précieux, tels que le langage corporel, qui facilitent grandement la reconnaissance des expressions faciales émotionnelles, ce qui a de grandes chances de limiter les effets négatifs du port du masque bien que des recherches supplémentaires adaptées soient nécessaire pour confirmer cela.

 

Si les premiers résultats des recherches menées chez les adultes semblent plutôt rassurants, mettant en évidence un effet négatif limité du port du masque, plusieurs chercheurs se sont demandé si des conclusions similaires pouvaient être tirées chez des populations plus jeunes. Ainsi, Ruba et Pollak (2020) ont étudié dans quelle mesure les enfants d’âge scolaire étaient capables de reconnaître des émotions en n’ayant accès qu’à la partie supérieure (yeux et sourcils) ou inférieure (bouche et nez) du visage. 81 enfants âgés de 7 à 13 ans (M = 9.86, ET = 1.84) ont participé à cette étude. Les auteurs ont utilisé 18 images de visages de type caucasien (neuf hommes et neuf femmes) tirées de la JACFEE database (Biehl et al., 1997) exprimant la tristesse, la colère et la peur, trois émotions qu’adultes comme enfants parviennent généralement à identifier en fixant principalement les mouvements faciaux actionnés autour des yeux plutôt que d’autres parties du visage comme la bouche et le nez pour la joie et le dégoût (Gagnon, Gosselin & Maassarani, 2014 ; Guarnera, Hichy, Cascio & Carrubba, 2015). Un tiers de ces visages était utilisé dans leur format original alors que les autres avaient été retouchés numériquement de manière à en présenter six avec la partie inférieure couverte par un masque chirurgical et six avec la partie supérieure couverte par des lunettes de soleil. Tous les stimuli étaient présentés deux fois aux participants, à qui il était demandé d’identifier l’émotion exprimée par chaque visage en choisissant parmi six possibilités de réponses (visage « heureux », « triste », « en colère », « surpris », « effrayé » ou « dégoûté »). Ruba et Pollak (2020) ont ainsi observé que les émotions sont moins reconnaissables lorsqu’une partie du visage était couverte. En revanche, ils n’ont pas mesuré de différence significative entre la condition où les visages portaient un masque et celle où ils portaient des lunettes de soleil. Si la tristesse était l’émotion la mieux reconnue et la peur l’expression faciale identifiée avec le plus de difficultés, les performances de reconnaissance des enfants étaient bien supérieures au seuil de chance dans toutes les conditions testées. Ces résultats rejoignent la tendance observée chez les adultes et ont conduit les auteurs à conclure qu’il est peu probable que le port d’un masque, combiné à d’autres indices contextuels, nuise considérablement aux interactions sociales des enfants d’âge scolaire dans leur vie quotidienne (Ruba & Pollak, 2020).

 

Néanmoins l’étude menée par Gori, Schiatti et Amadeo (2021) apporte des éléments nuançant ces conclusions. Ces auteurs ont étudié comment la lecture des visages émotionnels évolue au cours du développement chez les enfants et chez les adultes, dans un contexte où les uns et les autres sont contraints d’interagir avec des personnes portant des masques faciaux. Pour ce faire ils ont testé la reconnaissance de cinq émotions (joie, peur, colère, tristesse et expression neutre) chez 119 participants de trois groupes d’âge : de très jeunes enfants (n = 31) âgés de 3 à 5 ans (M = 4.3, ET = 0.7) ; des enfants (n = 49) âgés de 6 à 8 ans (M = 6.8, ET = 0.8) et des adultes (n = 39) de 18 à 30 ans (M = 27.4, ET = 2.1). La tâche, réalisée au domicile, consistait à remplir un questionnaire en ligne (réponses verbales pour les enfants en bas âge qui étaient guidés par un parent qui avait reçu des consignes précises) dans lequel les participants devaient identifier des émotions faciales sur des images statiques avec et sans masque facial, en choisissant parmi les cinq émotions testées. Différents résultats ont été mis en évidence. Tout d’abord, et comme précédemment, les émotions non-masquées étaient mieux reconnues chez les trois groupes d’âge. Dans cette condition, les performances de reconnaissance des tout-petits et des enfants étaient statistiquement similaires et toutes deux significativement inférieures à celle des adultes. En revanche, dans le cas où les expressions étaient partiellement cachées par un masque, les performances des tout-petits diminuaient considérablement (< 50 % de réussite pour chacune des cinq émotions) ce qui n’était pas le cas chez les enfants d’âge scolaire ni chez les adultes : bien que leur performances étaient plus faibles dans la condition masquée, elles demeuraient significativement plus élevées (> 60 % de réussite) que celles des tout-petits, rejoignant ainsi les précédentes observations de Ruba et Pollak (2020). Cependant, l’étude de Gori, Schiatti et Amadeo (2021) démontre également que les difficultés associées à l’utilisation du masque sont significativement plus prononcées chez les enfants âgés de 3 à 5 ans. Les auteurs concluent leur étude en soulignant les conséquences potentielles qu’impliquent de tels résultats qui, selon eux, suggèrent que nous vivons à une époque qui peut potentiellement affecter le développement des compétences sociales et émotionnelles. Très récemment Schneider et ses collègues (2021) ont toutefois publié des résultats bien plus rassurants : soucieux concernant le développement des enfants évoluant dans des structures préscolaires où le port du masque est obligatoire pour le personnel éducatif, ces chercheurs ont testé la reconnaissance des émotions de colère, joie et tristesse (présentation de photos d’acteurs avec et sans masques) de 276 enfants de 36 à 72 mois (M = 52.4, ET = 9.6) qui sont parvenus à identifier l’émotion exprimée avec précision dans deux tiers des cas malgré la présence d’un masque facial.

 

Discussion générale

 

 

L’analyse des recherches récentes révèlent deux résultats majeurs. Le premier est que les capacités de reconnaissance des visages sont significativement altérées pour les visages masqués par rapport aux visages non masqués avec un effet plus important chez les enfants. Le second résultat montre que la reconnaissance des expressions faciales est possible mais altérée par le port du masque, et ce d’autant plus que les enfants sont jeunes. 

 

Face à de telles conclusions il apparaît légitime de se demander si certains apprentissages, notamment du langage, se mettant en place au cours de cette période développementale risquent également d’être impactés par le port du masque. Dans ce contexte, plusieurs chercheurs se sont interrogés quant aux conséquences du port du masque sur la perception et la compréhension de la parole. Magee et al. (2020) ont notamment montré que le masque modifie le signal vocal émis par le locuteur qui le porte : au niveau des caractéristiques acoustiques du signal, ils mesurent que la présence d’un masque entraîne une diminution significative de la puissance du signal de 3 à 10 dB/Hz2 selon le type de masque. Ces auteurs ont également observé que le masque avait aussi un effet sur l’intelligibilité de la parole, en comptabilisant davantage d’erreurs lors de la retranscription de textes lus avec un masque. Dans une autre étude, Cohn, Pycha et Zellou (2021) observent que le masque impacte la compréhension d’un discours selon le ton employé par le locuteur : si les discours de type informatif (prononcés par un locuteur cherchant à transmettre le contenu de son discours) étaient aussi bien compris lorsque le locuteur portait un masque que lorsqu’il n’en portait pas, la compréhension des discours émotionnels (prononcés par un locuteur cherchant à transmettre son état émotionnel) était significativement plus faible en présence d’un masque. 

 

Chez l’enfant d’âge scolaire et le nourrisson, très peu d’études se sont directement intéressées à l’impact des masques couvrant la bouche des locuteurs sur la reconnaissance et l’apprentissage du langage chez le jeune enfant avant l’âge de 3 ans. Il n’existe à ce jour qu’une seule étude portant sur l’impact du port des masques sur le langage des nourrissons au développement typique (Singh, Tan, & Quinn, 2021). Dans cette recherche, les chercheurs ont cherché à comprendre si le port du masque empêchait la reconnaissance de mots familiers (e.g., ballon, fourchette, voir figure 4C) par des nourrissons anglophones âgés de 22 mois. Les nourrissons étaient placés devant un écran et voyait apparaître à chaque essai deux objets dont ils connaissent le nom, ainsi que la vidéo du visage d’une locutrice de langue maternelle anglophone leur demandant de trouver l’un des deux objets (« Trouve le _____ »). En fonction des essais, le visage de la locutrice était, soit partiellement recouvert par un masque chirurgical en papier opaque couvrant la bouche (figure 4A), soit par une visière transparente (figure 4B), soit complètement visible, condition contrôle (figure 4C).

Figure 4. Exemple des trois situations expérimentales utilisées par Singh, Tan et Quinn (2021). Le grand rectangle noir représente l’écran d’ordinateur.

 

Les résultats montrent que les nourrissons parvenaient à reconnaître les mots aussi bien lorsque le visage de la locutrice était entièrement visible (condition contrôle), que lorsque la bouche de la locutrice était recouverte par le masque opaque. Cependant, les performances étaient légèrement moins bonnes dans la condition visière transparente. Cela suggère que les nourrissons étaient uniquement gênés pour reconnaître les mots prononcés par la locutrice lorsqu’elle portait la visière, mais pas lorsque celle-ci portait un masque chirurgical. En d’autres termes, cela suggère que lorsque les conditions d’écoute sont suffisamment claires (pas de bruit acoustique) et que les mots sont déjà connus par les nourrissons, le port du masque ne semble pas perturber leurs capacités à comprendre leurs interlocuteurs, ou que les nourrissons peuvent compenser le manque d’information labiale en se concentrant sur le signal acoustique de la parole.

 

 

Cependant, d’autres recherches sont nécessaires afin de connaître l’impact du masque sur l’apprentissage du langage chez le nourrisson et l’enfant, lorsque les conditions d’écoutes sont plus difficiles, comme en présence d’un bruit de fond en crèche, en école. Également, l’impact du masque couvrant la bouche des éducateurs lorsque les enfants doivent effectuer des apprentissages langagiers difficiles pour eux, comme lors de l’apprentissages de nouveaux mots de vocabulaire, ou de sons spécifiques à une langue (ex. : apprentissage du français par un enfant allophone) ou encore des compétences méta-phonologiques (ou conscience phonologique) nécessaires à l’acquisition de la lecture.

 

Cette question est importante pour l’apprentissage du langage oral, puisque plusieurs études pré-pandémie suggèrent que les nourrissons passent plus de temps à regarder la bouche parlante que les yeux de personnes leur parlant dans leur langue maternelle (Lewkowicz & Hansen-Tift, 2012). Cette préférence pour la bouche est accrue chez les nourrissons grandissant dans un environnement bilingue (Birulés, Bosch, Brieke, Pons & Lewkowicz, 2019 ; Fort, Ayneto-Gimeno, Escrichs & Sebastian-Galles, 2018 ; Pons, Bosch & Lewkowicz, 2015) alors qu’elle est inversée chez l’adulte : lorsque les conditions d’écoute sont claires (i.e., sans bruit ni difficulté de compréhension particulière), les adultes préfèrent regarder les yeux de leurs interlocuteurs s’exprimant dans leur langue native (Lewkowicz & Hansen-Tift, 2012). Cela suggère qu’à la différence des adultes experts de leur langue maternelle, les nourrissons ont besoin de voir les mouvements de la bouche pour faciliter l’apprentissage de leur langue maternelle et notamment pour faciliter l’encodage des catégories phonologiques de leur langue (Altvater-Mackensen, Mani & Grossmann, 2015). Ce besoin semble perdurer chez l’enfant après 3 ans, jusqu’à l’âge de 10 ans
(Irwin, Brancazio & Volpe, 2017), ce qui suggère que les enfants ont besoin de regarder la bouche de leurs interlocuteurs pour des apprentissages langagiers de difficulté croissante (apprentissage de mots nouveaux, lecture etc.). En effet, chez l’enfant d’âge scolaire, la présence d’un masque sur un visage dans les situations de communication réduit l’apport de l’expression faciale et plus particulièrement empêche les interlocuteurs de pouvoir accéder à la lecture labiale dans les situations de communication, or celle-ci est reconnue comme facilitant la compréhension orale. En effet, la lecture labiale aide entre autres à reconnaître les phonèmes, qui sont prononcés en un seul mouvement articulatoire dans une syllabe, avec des variations plus ou moins visibles sur les lèvres. Cette situation a suscité le questionnement d’une équipe de recherche quant à une éventuelle incidence par rapport à l’apprentissage de la lecture pour les élèves de 5 à 7 ans, notamment au regard de l’importance de la mise en relation entre les graphèmes, c’est-à-dire les lettres ou groupes de lettres, et les phonèmes, les sons élémentaires du langage oral, lors de cet apprentissage. Afin d’investiguer dans quelle mesure le masque porté par les enseignants en raison de la pandémie actuelle peut affecter l’apprentissage de la lecture Piquard-Kipffer, Cavadini, Sprenger-Charolles et Gentaz (2021) ont suivi deux groupes d’enfants de la grande section de maternelle à la fin du CE1 : un groupe dit « à risque » de devenir mauvais lecteur avec de faibles capacités de discrimination phonémique (n = 39) et un groupe contrôle considéré « non à risque » en raison de capacités de discrimination phonémique élevées (n = 46). Pour tester l’effet de l’impossibilité de recourir à la lecture labiale dans une épreuve qui mobilise la discrimination et la mémorisation des sons de la parole, une même tâche de comptage syllabique a été proposée aux enfants à 5 ans et à 7 ans avec deux conditions : avec et sans la possibilité d’utiliser la lecture labiale (les stimuli étant soit prononcés par l’expérimentateur, soit pré-enregistrés : une condition similaire à celle en présence d’un masque facial). Les résultats de cette étude ont mis en évidence que le recours à la lecture labiale profitait seulement au groupe « à risque » où les enfants avaient de meilleures performances lorsqu’ils avaient accès au visage du locuteur et ce quel que soit leur âge, avec des scores restant similaires dans le temps. À l’inverse, les élèves du groupe « non à risque » étaient peu sensibles au recours à la lecture labiale : leurs scores augmentaient à travers le temps avec ou sans avoir eu accès à la lecture labiale. Par conséquent, le port du masque par les enseignants peut interférer avec l’apprentissage de la lecture chez des enfants « à risque » par rapport à cet apprentissage en raison d’un déficit de discrimination phonémique.

 

Une dernière piste de recherche consisterait à utiliser un dispositif de suivi oculaire (« eye-tracking ») pour étendre les recherches sur les effets du port du masque. En effet, ce dispositif offre non seulement la possibilité de présenter des stimuli de différente nature, tels que des images statiques comme dans les travaux susmentionnés, mais également des scènes dynamiques, davantage similaires aux situations réelles et permet de mesurer de manière détaillée les patterns d’exploration visuelle des participants en réponses aux stimuli présentés sur un écran (Palama, Malsert, Grandjean, Sander & Gentaz, 2020). De plus ce dispositif est adapté pour étudier de très jeunes enfants qui ne pourraient pas réaliser une tâche sollicitant le langage oral, telle que dans les différentes études présentées en amont : la faisabilité de cette technologie a notamment été démontrée avec des nourrissons dès l’âge de 6 mois (Palama, Malsert & Gentaz, 2018). L’étude de cas, présentée en annexe, s’inscrit dans cette perspective de recherche.

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Annexe

 

Une étude de cas conduite avec une enfant de 10 mois à l’aide de l’oculométrie dans une crèche de l’université de Genève (Cavadini & Gentaz, 2021).

 

À titre exploratoire et afin d’apporter rapidement de nouveaux éléments de discussion aux professionnel(le)s de crèches de l’université de Genève, nous avons proposé deux tâches à une enfant typique âgée de 10 mois au sein de sa structure d’accueil. Dans la première, nous lui avons présenté, simultanément et pendant huit secondes, des paires de visages identiques réels statiques émotionnels (joie, colère, neutre) avec et sans masque (cf. figure 5A). Grâce à notre « eye-tracker » portable, nous avons mesuré le temps de regard (secondes) sur chaque visage selon qu’il soit masqué ou non. Comme attendu, les résultats ont montré que les visages masqués étaient systématiquement moins regardés, quelles que soient les émotions. Dans une seconde tâche plus réaliste où un seul visage apparaissait à la fois avec ou sans masque, nous lui avons présenté successivement six visages réels statiques sur l’écran : une personne souriante (cf. figure 5B), en colère et avec une expression neutre. Nous avons mesuré le temps de regard sur (1) l’image de la personne ; (2) la région du haut du visage (incluant les yeux et le front) ; et (3) la région du bas du visage (région de même taille que la précédente, incluant le nez et la bouche). Nous avons ensuite calculé le pourcentage de temps de regard sur les différentes régions de chaque visage (ratio temps sur les différentes régions/temps sur l’image). Les résultats ont

alors montré que l’exploration visuelle se concentrait sur le haut du visage lorsque celui-ci était masqué et, uniquement pour le visage neutre masqué, avec une très forte diminution de l’exploration visuelle.

 

Cette observation, si elle est confirmée par d’autres travaux, suggère que les bébés, à partir de 10

mois, peuvent être capables de repérer les informations visuelles disponibles sur un visage, y compris masqué, à condition que ce dernier exprime une émotion.

Figure 5. Illustration du contenu des deux tâches réalisées dans le cadre de l’étude de cas : A) visages en colère avec et sans masque (tâche 1), B) exemple d’un stimulus utilisé dans la tâche 2 (visage joyeux non-masqué).

 

Pour citer cet article : Cavadini, T., Fort, M., Pascalis, O., & Gentaz, É. (2022). Quels sont les

effets du port du masque sur la reconnaissance des visages et des émotions chez les enfants et

les adultes ? Apports des recherches. A.N.A.E., 176, 113-125.

 

Cet article a été publié dans le N° 176 d'ANAE 

Volume 34 - Tome I - Février 2022